les étoffes et la couleur au XXe siècle : l’exemple Valadon

La couleur est une façon de décrire l’emprise de la nature chez l’artiste. Deux périodes de représentation de la nature sont à noter dans son parcours : une première qui s’inspire de Cézanne, et une seconde qui donne à voir des “couleurs sourdes et saturées”. Notamment dans ses natures mortes. Celles-ci deviennent, de facto, plus vivantes que mortes, grâce à la réverbération des couleurs qui dessinent le contour des pétales ou vases qu’elle choisit de représenter. 

On note, par exemple, ce Bouquet de fleurs de 1930 qui fait explicitement référence aux “détails ornementaux et motifs circulaires incisés dans la parure du vase”, ou encore ce “napperon” qui structure la partie inférieure basse du tableau.

On note aussi cette Nature morte de 1920. La référence aux tissus est explicite et il s’avère que leur coloration est elle-même éclatante : elle se compose d’un “tissu drapé”, d’un “tissu brodé appelé ‘suzani’, sûrement rapporté d’Ouzbékistan par son premier mari, Paul Mansis, négociant en étoffes”. Peut-être se trouve-t-il là ce lien direct qui opéra le charme entre Suzanne et l’étoffe. Ce tissu est reproduit dans la plupart de ses œuvres, comme cette palette de couleurs éclatante qui se réverbère en quasi-continuité au fil de l’exposition « Suzanne Valadon » - Centre Pompidou (2025).  Toujours pour accompagner sa démarche artistique première : poser un nouveau regard sur la représentation des femmes ; une représentation picturale libérée des carcans sociaux et artistiques.

© Petit Palais, Genève
© Domaine public Crédit photographique : Centre Pompidou, MNAM-CCI/Bertrand Prévost/Dist. GrandPalaisRmn Réf. image : 4N52700. Agence Photo de la RMN

La couleur est aussi en grande partie liée au passage de l’apprentissage à la vie bourgeoise de l’artiste elle-même. Ainsi, l’éclat de la couleur est un outil lui permettant de dépeindre la complexité des intérieurs bourgeois, enrichis de motifs parfois harmonieusement superposés les uns aux autres, dans un même espace. Comme le portrait de son ami, Le Docteur Robert Le Masle. Le portrait de famille et le motif du revêtement habillent aussi des fauteuils. Le Portrait de Miss Lily Walton et son “intérieur largement décoré” répond à cette même dynamique. Le portrait de Madame Lévy, “aux multiples effets de textures et couleurs”, est doté d’une “profusion de drapés qui peut évoquer le faste des intérieurs bourgeois”.   

La couleur est bien évidemment associée aux détails, qui structurent le trait radical et sévère utilisé par Valadon pour représenter les nus féminins. Un féminin radical dénué des stéréotypes du féminin classique et traditionnel : tons pastels en toile de fond, peau blanche et pâle synonyme de candeur,  à l’image des traits de Marie Laurencin. Les étoffes harmonieusement saturées de couleurs de Valadon allient très souvent ce bleu profond, cet orange vif, et ce rouge proche du pourpre. Le bleu, présent à plusieurs reprises dans « les étoffes Valadon », occupe près d’un tiers de l’espace de la toile dans La Chambre bleue. Il est discrètement évoqué sur les parois du “Suzani” et le dessus de robes de La Couturière ;

directement évoqué sur le Nu au Canapé rouge. Cette composition éclatante est un méandre de tissages. Son éclat est assourdissant dans les somptueuses textures des Dames Rivière, aussi bien via l’intérieur dans lequel elles sont ancrées, que leur habillement. Et tout aussi bien sur l’unique objet de couleur bleu dans Catherine nue allongée sur une peau de panthère. Et l’intérieur de l’étui du violon de l’éponyme Boîte à violon qui laisse le visiteur sur une note vibrante et vivante au sortir de l’exposition.

Un bleu plus doux s’invite aussi à côté du rouge sur les carreaux de faïence fleuris de La petite fille au miroir.   

La couleur orange est enfin représentée indépendamment du bleu et conserve son éclat dans plusieurs de ses tableaux. Le Portrait de Mauricia Coquiot, ce Nu assis au châle tapis, ou encore sur ce drapé qui couvre le portrait d’un personnage androgyne, celui de la robe d’une des Dames Rivière ; celui à l’arrière-plan du Portrait de Nora Kars, ou encore le tapis sur lequel est allongée Catherine, nue, ou bien évidemment les tapis de Gilberte nue en se coiffant.

Liste des oeuvres selon leur ordre d’apparition :

1930 - Bouquet de fleurs, Suzanne Valadon
1920 - Nature morte, idem
1930 - Le Docteur Robert Le Masle, idem
1922 - Portrait de Miss Lily Walton, idem
1923 - La Chambre bleue, idem
1914 - La Couturière, idem
1920 - Nue sur un canapé rouge, idem
1924 - Les Dames Rivière, idem
1923 - Catherine nue allongée sur une peau de panthère, idem
1914 - La Boîte à violon, idem
1909 - La petite fille au miroir, idem
1915 - Portrait de Mauricia Coquiot, idem
1921 - Nu assis au châle tapis, idem
1914 - Portrait de Nora Kars, idem
1920 - Gilberte nue en se coiffant, idem

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